Une expérience péruvienne

Maxime Pérou 12 Commentaires

La salle est agencée comme dans une église et des femmes en robes sont assises sur les rangées de gauche et des hommes également en robes, à droite. Les banquettes sont dans l’obscurité mais deux petites ouvertures de part et d’autre de l’autel laissent passer les derniers rayons de soleil de cette fin d’après-midi et éclairent un vieillard à la barbe blanche.
J’explique à cet étrange personnage ce que je fais ici. Sa réponse est claire, y’aura de la bouffe et de quoi pieuter pour nous, mais d’abord je dois lire les 10 ou 12 règles placardées en géant derrière lui. En espagnol, je récite à haute voix les règles de Jéhovah devant une assemblée de fanatiques. Yohan et Aglaé me rejoignent à l’intérieur en s’inquiétant pour moi mais sont également invités à se mettre en avant.

La procession se poursuit jusqu’à la récré où l’on reçoit une bouteille d’eau, puis c’est cours de chant. On chante des refrains d’apocalypse et de nouveau monde, de Dieu et de pécheurs, de ténèbres et de soleil. Les interminables couplets manichéens s’enchainent et nous braillons à tue-tête les rimes les plus marrantes. Je me pince pour ne pas exploser de rire tellement la scène est loufoque, nous autres en habit de sport à réciter la fin du monde entre l’illuminé de la première heure et tous ses séides en soutanes. La musique s’arrête et l’on est prié de se mettre à genoux devant l’autel du royaume. Les yeux fermés j’attends que le fils de la réincarnation de Rafiki nous adoube….à l’huile d’olive. La cérémonie se termine enfin quand le précieux liquide (meilleur dans les pâtes-ciboulette) dégouline sur mon crâne pour terminer le travail d’encrassage que les cinq derniers jours sans douche ont commencé.

Notre départ le lendemain ressemblera davantage à une fuite contre une sectarisation des petits pas qu’à des adieux en larmes, mais nous restons polis et les remercions chaleureusement. Prochaine étape, Cusco ! Les derniers kilomètres sont affreux et il faut manier la bicyclette avec art contre l’évolution régionale des chasseurs-cueilleurs, les chauffeurs-tueurs. Bien content de poser mes sacoches pour quelques jours de détente dans une auberge…!

Je décide de ne pas visiter l’onéreux mais pas moins fameux Machu Picchu et passe quelques jours supplémentaires à déambuler dans les ruelles pavées ou à déguster un énième almuerzo au marché. La fête de l’Inti Raymi le 24 juin réunit des milliers de Péruviens pour célébrer le soleil le jour du solstice d’hiver. La ville est bondée et le marché à côté de la gare d’autant plus vivant. Le cuy al horno (ou cuy picante selon les goûts) est un cochon d’Inde entier rôti au four empalé sur une brochette habituellement servit le dimanche dans les villages de la région. Au marché il tient ici une place importante et peut être englouti tous les jours. Les prix ici sont nettement plus élevés que dans les régions traversées jusqu’ici mais restent abordables (1.5 $ pour un almuerzo en campagne et de 3 $ 7 $ à Cusco).

Mais voilà, le temps en Amérique du Sud m’est désormais compté. La liberté de me déplacer à l’allure souhaitée sans date butoir ni rendez-vous à tenir, cette liberté qui me permet de me fixer des objectifs sans comptes à rendre s’est envolée en un clic de souris. Un spasm s’en suit, puis un soupire, et je me sens vidé mais heureux. En cliquant sur « Valider » sur le site d’Air Canada, je fais une croix sur l’Amérique du Sud et m’ouvre les portes de l’Amérique du Nord, où une nouvelle liberté vélocipèdique m’attend dans les immensités canadiennes. Ma route est désormais liée à Lima d’où je m’envolerai d’ici quelques semaines, chaque grande décision apporte son lot de sacrifices mais également son paquet d’espérance.

Cependant s’il est encore un bel endroit que je veux explorer avant de quitter le Pérou, c’est bien le massif montagneux de la Cordillera Blanca situé dans la région d’Ancash. 30 heures de bus dans un confort tout relatif m’emmènent jusqu’à Yungay, un petit village posé au pied de la Cordillera Blanca. J’allège mon vélo pour n’embarquer que le strict nécessaire et m’en vais pour une petite boucle entre les montagnes esthétiques du parc Huscaran et les lacs turquoise tout droit sortis de Patagonie. Beaucoup de grimpette (6000 m D+ sur moins de 200 km) et quelques routes affreuses me limitant à 40-45 km par jour, je finis ma boucle et reviens à Yungay sur les rotules.

Je rejoins la côte péruvienne par le cañon del Pato (canyon du canard) et ses 35 tunnels et m’aventure sur la Panaméricaine. Du sable, des camions, des collines interminables, du vent de face, un ciel gris et un climat humide la moitié de l’année, c’est pas la fête du slip. Je fête mon 27e anniversaire dans un maison en construction totalement paumée, passe une nuit au milieu du désert dans les baraquements rudimentaires d’une entreprise d’élevage de poulets, campe dans les dunes à quelques mètres de la route, répare crevaison sur crevaison dans le sable et la pluie.

Enfin à Lima où je suis accueilli comme un fils par Jenny et sa famille. Mon expérience sur place a été fabuleuse et je n’aurais pu imaginer un meilleur endroit pour terminer mon séjour en Amérique du Sud. Merci mille fois à vous amigos.

Commentaires 12

  1. Thomas

    My god ces lacets… t’as tout grimpé ?! En tout cas t’auras mérité de piquer un ou deux poulets pour ton souper d’anniversaire ;). D’ailleurs cette maison me rappelle à la fois les baraquements à la Montagne de Lussy, et un fort de ZF de DAoC… T’as pu éviter le bus comme ça !

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  2. Hugo

    Max, oublier de mentionner que vous avez passé votre 27ème anniversaire dans la maison en construction, en compagnie de deux autres cyclistes, José et Hugo étaient là ……. aussi ce Juillet 6 et vous ne sont pas si « paumée ».
    Salutations

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      Maxime

      Hey Hugo,

      effectivement je n’ai pas mentionné notre rencontre, mea culpa. Merci d’avoir été là pour partager ce moment dans cette maison bel et bien paumée.

      Hasta luego

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